Animation par Jean-Claude Gillet d’un débat conclusif du colloque organisé à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine les 4 et 5 avril 2013 sur le thème Figures de l’engagement des Jeunes. Ce texte a été publié aux éditions de la MSHA en août 2015 sous la direction de Christine Bouneau et Jean-Paul Callède avec le titre Figures de l’engagement des jeunes. Continuités et ruptures dans les constructions générationnelles.

Jean-Claude Gillet (JCG) : en préalable je tiens à vous dire que, lorsque l’on regarde entre 1994 et 2012 le nombre de livres qui comporte le mot « engagement » dans leur titre, en France uniquement, ce chiffre s’établit au nombre de vingt. Ce qui n’est pas énorme. Je ne parle pas du fait que dans d’autres ouvrages on traite du thème de l’engagement éventuellement : c’est possible bien-sûr, sans parler des revues, des articles dans lesquels figure le terme engagement, mais en termes d’ouvrages, c’est relativement limité. J’y inclus La fin des militants de Jacques Ion, car, ayant déjà utilisé le mot « engagement » dans d’autres titres, il lui fallait bien en changer de manière à ne pas introduire de confusion vis-à-vis des éventuels lecteurs : par contre, sur la 4ème de couverture de l’ouvrage cité, il y a 5 fois le mot « engagement ». Les auteurs sont treize sociologues, trois politologues, deux philosophes, deux experts en information et communication et un journaliste, un historien et un juriste.

Les livres sur l’engagement et la jeunesse sont au nombre de 8 parmi les 20. Le mot « figure » mérite une petite attention : il s’apparente aux notions de représentations, d’images, de visages. Le mot « engagement » dans les ouvrages que j’ai cités, y est rarement défini. On parle beaucoup plus du comment de l’engagement que du pourquoi du comment. Et par exemple J. Ion le dit très précisément dans son ouvrage : « Ça ne me concerne pas la question de la définition de l’engagement ». Ce qui l’intéresse c’est le « comment » pour essayer de déterminer des constantes ou des variantes dans les différentes générations par rapport à cette thématique.

À l’instant je vous propose donc une définition en évoquant simplement un passage de l’appel au colloque : « De façon élémentaire la notion d’engagement fait référence à une obligation que s’impose l’individu ou qui s’impose à lui. Elle se décline dans des formes plus ou moins durables structurées et collectives – et plus loin dans le texte- tantôt les idées forgent les caractères, tantôt des individus formulent et propagent des idées, débouchant sur des circulations et des transferts de modèles d’organisation » .

Je vais maintenant donner la parole aux participants à cette table ronde dans un ordre qui ira de la plus jeune au plus âgé et ce dans une approche multiscalaire comme cela est évoqué nommément dans le texte de l’appel : on pourrait la définir comme l’analyse d’un processus d’engagement qui se déroule dans le temps au sein d’un contexte lui aussi en évolution. Ce type d’approche devrait permettre une mise à distance pour chacun d’entre nous dans une diachronie de différentes générations, avec une méthode comparative permettant d’observer des particularités et du changement. Cela dit, soyons modestes dans les conclusions scientifiques que nous pourrons tirer de nos approches : notre panel est tout à fait aléatoire en l’occurrence.

Mais tout d’abord, je vais commencer par la grande absente de ce débat, Mme Simone Rossignol, qui fut maire de Bègles et dont le bel âge ne lui permet pas d’être parmi nous autrement que « par le cœur ». J’ai lu et relu son ouvrage, Je me souviens : propos d’une femme militante de Bègles, pour vous transmettre quelques éléments de sa trajectoire.

Née en 1918, elle est originaire de Dordogne. Elle arrive à Bordeaux à 8 ans, elle est à l’école à Nansouty. Son père est marinier, puis employé aux PTT, joueur de rugby à l’ASPTT. Il est communiste à la scission de 1920 au moment où les partis communiste et socialiste se séparent. Après Bordeaux la famille repart de nouveau en Dordogne et, en 1926, elle revient à Caudéran. En 1928 la famille arrive enfin à Bègles, où elle fait sa communion à 10 ans et demi. Ceci est dû à l’influence éducative de la mère : le père ne s’oppose pas à la communion de sa fille. L’esprit de solidarité familiale vis-à-vis de l’extérieur permanent est très fort.

Dans son ouvrage, elle fait l’éloge du sport : elle écrit que « l’école du sport c’est celle de la modestie, de la persévérance et de la fraternité ». Elle entre à l’ASPTT (où son père est dirigeant) pour faire de la natation, avec une expérience malheureuse : elle se casse la figure dans une piscine et donc elle préfère s’inscrire au basket. Voici un petit extrait de son livre sur cette expérience :

« A l’époque le sport féminin était à la marge. Il n’existait que très peu d’équipes féminines. Sur Bordeaux seule une banque avait une équipe de basket et un groupe de femmes pratiquait ce sport à Villenave d’Ornon dans l’équipe du quartier Saint-Brice. Il y avait des filles de mon quartier plus âgées que moi qui y jouaient, moi je devais avoir 15 ans. Je me souviens quand les filles m’ont dit « viens ». J’étais grande pour l’époque avec mon mètre soixante-trois. Elles m’ont dit : « on a besoin d’un centre, il faut que tu viennes ». Moi ça me plaisait bien. J’ai dit à mon père : « Tu ne sais pas papa, j’aimerais bien faire du basket ». « Eh bien ! Fais du basket ma fille, si tu veux ». Voilà en quel climat de confiance j’ai été élevée. Par la suite, en 1935, l’union syndicale étant réalisée, à l’occasion du rapprochement entre la section socialiste et la section communiste qui s’appelait « Rayon communiste de Bègles », un club travailliste a été fondé à Bègles, la prolétarienne sportive de Bègles, PSB. C’est là que je suis devenue capitaine de l’équipe de basket fraichement constituée. Ma sœur jouait avec nous, elle avait des capacités, peut-être plus que moi du point de vue sportif. Elle faisait de la course (elle a participé au championnat sportif de Tours), elle avait un très bon temps sur le 80 mètres, mais si elle n’avait pas envie de courir ou de jouer, si quelqu’un ne lui avait pas plu, elle pouvait tout lâcher, d’un coup. Elle s’en allait : « remplacez moi ». Mon frère faisait de la natation. Nos parents nous ont toujours encouragés dans les pratiques sportives ».

Elle participe ensuite à une chorale qui s’appelle « les blouses bleues ». En 1934 son premier travail est dactylo, puis elle est secrétaire de direction dans le bâtiment en 1935 : elle a donc 17 ans. Elle est virée par son patron en 1936 bien qu’elle n’ait pas fait grève, mais son patron argue du fait que son père est communiste… Elle participe à des collectes pour les grévistes, pour le soutien aux républicains espagnols bien évidemment, et elle entre à la Bourse du travail en décembre 1936 : elle milite à l’union des jeunes filles françaises qui deviendra après la guerre l’union des femmes françaises. À ce moment-là on va dire qu’elle est d’un âge adulte.

Après l’UFF elle va adhérer au parti communiste en 1945 et elle va grimper les échelons aussi bien de l’UFF où elle sera fondatrice de l’UFF à Paris lors du meeting de création à la Mutualité après la guerre. Elle deviendra peu à peu secrétaire de cellule au PC, secrétaire départementale, puis elle sera adjointe au maire René Duhourquet qu’elle remplacera en 1971. Il a été un petit peu le porteur de la candidature de Simone Rossignol, qui va quitter en 1989 sa mairie pour se consacrer à sa propre vie personnelle enfin.

On peut donc voir que dans sa trajectoire il existe des origines liées à sa famille avec un héritage politique évident, et le sport a été pour elle un élément tremplin dans son appartenance à ce qu’on appellera plus tard la FSGT, dans cette nébuleuse de « contre-société » comme l’exprimait l’historienne Annie Kriegel à propos du PCF. Puis ce fut l’Union des femmes françaises et ensuite une carrière politique d’élue. Cela dit, tout n’a pas toujours été facile pour elle au sein de son parti : elle n’était pas toujours en accord avec la ligne politique du PC, en particulier sur la question des femmes et de la contraception : « Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient-elles le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? », avait expliqué Jeannette Vermeersch, défendant la politique nataliste du parti.

Voilà, j’ai fait un résumé forcément rapide de sa vie et bien évidemment nous aurions préféré les uns et les autres qu’elle soit présente.

Maintenant, dans un deuxième temps je vais demander à chacun des participants de se présenter en une minute maximum : on va commencer par Hélène Boineau de l’association « Boulevard des potes ». Elle est notre benjamine.

Hélène Boineau (HB) : je suis permanente de Bd des potes depuis quelques années et par ailleurs ex présidente de SOS racisme Gironde. Bd des potes c’est une association de lutte contre le racisme et les discriminations qui existe depuis 20 ans et donc on mène différentes actions de sensibilisation, de formation sur ces questions là. Je m’occupe plus particulièrement de l’action d’éducation en direction de la jeunesse.

Sandrine Mallet (SM) : présidente de SOS Racisme Gironde depuis 2005. J’ai intégré le bureau national 2, 3 ans plus tard. Et je suis trésorière de l’association au niveau national. J’arrive à SOS racisme par l’intermédiaire du Bd des potes, avec Hélène on est un peu similaire au niveau de l’engagement, et puis après les autres engagements associatifs j’en parlerai toute à l’heure, et professionnellement je suis conseillère principale d’éducation à Libourne au lycée ( ?).

Christine Senegon (CS) : militante au planning familial pendant une vingtaine d’années je suis maintenant à la retraite. J’ai terminé conseillère au planning familial dans un centre de planification un petit peu les mêmes fonctions mais pas le coté militant. Donc je suis arrivée au planning familiale, je suis un peu un idéal typique pour ma génération, la génération 68, la rencontre ça a été à la quarantaine, un peu par hasard.

Bernard Allemandou (BA) : ex pédopsychiatre. Retraité. 69 ans. Donc, pour dire 2 mots sur ma trajectoire. C’est marrant parce que ça a démarré un peu comme Simone Rossignol, c’est à dire par la culture sportive, on y reviendra un petit peu toute à l’heure. Et puis après le déterminant ça a été la guerre d’Algérie, 1961, et l’engagement à ce moment là. J’étais fondamentalement contre cette guerre. Et à partir de là ya eu un engagement surtout sur le mode syndical. Et puis on avait d’ailleurs à ce moment monté une consultation pour le planning étudiant (à vérifier 22 :00). Et puis j’ai fait des études de psychiatrie ça m’intéressait de ne pas tenir compte de la dimension social et psychologique ( ?) et puis j’ai fait toute ma carrière auprès de l’enfance inadaptée, auprès de déficients profonds, puis auprès d’adolescents. D’enfants sauvages, insupportables quand ils finissent devant la justice. Et donc à ce contact là ça m’a obligé à rester un petit peu jeune pour essayer de s’adapter et pour comprendre ce qui se passait. Et donc toute cette carrière a été faite auprès des jeunes et à ce titre là on m’a qualifié de militant de l’enfance, parce que non seulement sur le plan professionnel donc, j’avais une pratique professionnelle vis-à-vis de ces jeunes mais en plus de ça on a eu des combats à la fois sur le mode syndical, avec la CGT, avec des responsabilités que j’ai eues, et politiques aussi au sein du parti communiste et avec des fonctions d’élu. Et un des rares conseillers municipales à s’occuper de problème d’handicapés dans cette municipalité.

JC G : pour ce qui me concerne, je suis professeur honoraire des universités en sciences de l’éducation. Ma trajectoire a commencé à Bordeaux par du militantisme syndical, puis politique à Paris, comme permanent pendant 20 ans. Au bureau national de l’UNEF pendant 2 ans et au PSU pendant 18 ans. Donc ma carrière à l’université est une carrière tardive. J’ai été maître de conférences à 52 ans après avoir passé deux thèses, une dans les années 70 qui, a mon avis, n’était pas très bonne sur L’utopie sociale et écriture chez Jules Verne, et une 2ème qui s’appelle Théories et pratiques de l’animation. Vers une approche praxéologique. 1960-1993 que j’ai passée en 1993. J’ai franchi en 10 ans tous les barreaux de l’échelle universitaire, maitre de conférences, HDR, professeur en 1998 et en 2003 j’ai pris ma retraite. Toute ma carrière est en quelque sorte atypique. J’ai écrit une quinzaine d’ouvrages sur l’animation qui est mon secteur de recherches principal, l’éducation populaire, la politique de la ville, etc. ; j’ai été professeur émérite jusqu’en 2010 et aujourd’hui je travaille sur l’histoire du PSU. J’ai écrit ou dirigé trois ouvrages et je suis en train d’écrire le quatrième. De manière à ce que toute cette histoire ne soit pas perdue pour tout le monde.

Nous allons maintenant commencer réellement la table ronde : il y a trois séries de questions dont je vous énumère les intitulés. La 1ère tourne autour d’ « engagement et militantisme de jeunesse » : chaque intervenant aura dix minutes. Ensuite une 2ème question : « une expérience juvénile de l’engagement qui s’est prolongé à l’âge adulte ? » avec cinq minutes pour chacun. Et un dernier temps conclusif de 3 mn autour de « engagement juvénile d’hier, engagement juvénile d’aujourd’hui, engagement juvénile de demain ».

HB : moi je suis déjà embêtée parce que la question 1 et 2 sont très liées à mon cas. Je pense que mon témoignage va être différent des autres parce que moi je me suis engagée très tard. Alors il ne s’est par rien passé dans ma jeunesse puisqu’il y a quand même des sensibilités qui sont là mais je n’ai pas fait partie de mouvements d’éducation populaire, de mouvements sportifs, en fait je suis rentrée dans le militantisme avec mon travail. mais effectivement il n’y a pas de hasard. Me concernant par rapport à mon histoire c’est celle de ma famille. Je suis dans une logique d’affiliation. C’est plus même mon grand-père, c’est marrant de voir que dans ma famille on n’était pas très engagée, est ce que ça saute une génération ? je ne sais pas. moi c’était mon grand-père essentiellement. Mon grand-père était un émigré espagnol, républicain réfugié en France. Avec des idées de liberté. Qu’il a combattu toute sa vie. Et il m’a transmis depuis mon plus jeune âge ces valeurs de liberté, et de fraternité aussi. Il y a eu vraiment une culture de la résistance qu’il m’a transmis. Qui est évidemment nécessaire dans l’engagement. Quand on s’engage il faut que ça dure donc il faut aussi être résistant. Donc après c’est surtout parti, en fait il y a différentes façons de s’engager, je pourrai faire le lien toute à l’heure avec les différentes actions qu’on mène auprès des jeunes.

Donc déjà on peut s’engager en participant à des discussions. Ensuite en étant dans une association un collectif en faisant l’apprentissage de la citoyenneté à travers ces structures là ; et puis 3ème degré où là on devient acteur, on est force de proposition, donc là on est dans le militantisme. Moi j’ai fait les 3 étapes ; et dans ma jeunesse j’étais plutôt dans la 1ère étape qui était la contribution au débat, en famille et aussi avec les amis parce qu’au lycée on discutait beaucoup, l’engagement c’était la participation au débat et défendre ses idées, ses valeurs, et même quand on a des contradictions en face de nous avec des personnes qui ne partagent pas les mêmes idées et ça ça me parait assez important. D’ailleurs c’est ce que je dis aux jeunes quand je fais des interventions en milieu scolaire quand ils me demandent comment on peut faire pour agir, bien, déjà en parler, ne pas laisser dire certains propos, pour moi c’est une 1ère forme d’engagement qui est nécessaire, essentiel. Ensuite, j’ai quand même eu une petite expérience aux jeunesses communistes, qui n’a pas duré longtemps j’ai pas analysé pourquoi ni comment mais faut croire que je n’étais pas prête à l’époque.

Même le fait d’être délégué de classe, j’ai été déléguée de classe à plusieurs reprises, ça peut paraitre banal en fait c’est quelque part une forme d’engagement aussi puisqu’on se fait élire pour représenter les autres. Et c’était une responsabilité qui m’a toujours tenue très à cœur. Mais je n’étais pas dans les syndicats étudiants ; donc après moi je suis rentrée dans le militantisme à travers le travail. je dois dire que dans l’histoire de ma génération il n’y a pas eu de gros événements marqueurs qui fait qu’à un moment donné on a envie d’y aller. Moi c’était plus la question de cet héritage familial. Et cette transmission de mémoire que j’ai eu envie de pérenniser, j’ai eu envie de pérenniser le combat de mon grand père parce que c’est des combats universels en fait. Alors effectivement il y a des prises de conscience, je pense à 2002 le FN aux élections présidentielles ça c’est des éléments qui peuvent marquer mais c’est vrai qu’on n’est pas une génération comme les soixante huitards ou ceux encore avant avec les guerres. Sur les motivations moi je suis dans la logique d’affiliation et évidemment il y a aussi des motivations personnelles, on peut se sentir utile, valorisé etc., on va aussi changer la société, et le leitmotiv c’est on n’a pas le droit de se plaindre si on ne réagit pas.

SM : est ce que je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite c’est avec du recul que je peux dire oui et puis je suis surtout tombée dans la marmite plus tard à l’adolescence ou à l’entrée dans la vie adulte, je devais avoir 20 ans. Effectivement il y a l’engagement que j’ai pris dans des associations à ce moment là un petit pas sur les pas de rencontres que j’ai pu faire à ce moment là). Effectivement comme le disait Hélène il n’y a pas de hasard, et forcément on va témoigner, donc ça amène à faire un peu de rétrospective sur soi, mais je pense que si je me suis engagée dans le milieu associatif et militant syndicaliste aussi plus tard ou de façon bourgeoise ( ?) je vais y revenir plus tard, c’est à la fois l’héritage d’une histoire personnelle qui est liée à sa famille, et au frottement ( ?) social, qui est l’école, le lycée et plus tard l’université, c’est vraiment à l’université où j’ai pris pas forcément la décision mais où mes pas m’ont amenée ici. Alors pourquoi je parle de marmite, en tout cas moi je le vis encore comme ça aujourd’hui, être militant, ça donne de la force et du souffle. Une perpétuelle forme de colère sur les choses qu’on trouve injustes dans la société, un sentiment de révolte, et la révolte finalement c’est l’espoir, l’envie d’agir, l’énergie, et si je parle de marmite comme Astérix etc. ; c’est comme une potion magique qui ns donne envie d’agir. Mon engagement est né surtout au moment où je rentre à l’université plus en opposition idéologique vis-à-vis de mon père et non pas dans une transmission d’un héritage où quand j’étais petite on m’amène aux jeunesses communistes etc. non pas du tout, ça ce n’est pas chez moi ; en revanche avec le recul je me suis rendue compte que, à la maison, même si aujourd’hui je suis en désaccord avec certaines idées que j’ai pu entendre gamine, on parlait beaucoup politique. Avec des oncles un père engagé au conseil municipal, impliqué en tant que parent d’élèves. Donc quand même je pense qu’il y a un socle qui a été posé dans mon éducation jeune une participation à la vie de la cité, à l’affaire collective, tout ça ça ne vient pas de rien. Mais n’empêche que bon après plutôt dans une situation d’éclatement de la situation familiale, j’ai envie de dire ça, d’entrée dans l’adolescence, on pousse les murs, aussi idéologiques, voilà moi j’ai poussé les murs de mes parents et surtout vis-à-vis de mon père. Donc ça j’y reviendrai après, sur cette prise de recul, parce qu’à 20 ans on ne se rend compte de rien et on le fait. Alors d’ailleurs au passage à SOS racisme y’a pas de jeunes de la fédération nationale des lycéens qui arrivent aussi dans l’histoire du militantisme en rentrant dans une nouvelle famille en quelque sorte, une famille idéologique, quand on est très jeune on se construit aussi vis-à-vis des idées, et on va partager un point commun avec d’autres membres, et il y a quand même ce que nous on appelle à SOS la famille des potes, c’est quand même un sentiment qui est très fort et qu’on retrouve dans la camaraderie politique etc. C’est plutôt des rencontres à l’université des copines en TD qui n’ont rien à voir avec le cercle que je côtoyais au lycée où on était plutôt sur la musique le rock plutôt une culture contestataire quand même et puis de fil en aiguille une d’entre elles la mère est travailleur social, elle a entendu parlé du bd des potes, qui sont les fondateurs de SOS racisme y compris au niveau national, et donc ils cherchent des étudiants pour filer un coup de main, tenir le café associatif au bd des potes, et c’est un petit peu comme ça que je rentre dans cette histoire de combat anti raciste. Mais à l’époque je ne le perçois pas. je ne le perçois pas du tout. Je suis en parallèle étudiante, en socio, et donc c’est aussi un engagement dans le milieu associatif qui réfléchit à des questions de société à la question d’égalité le vivre ensemble, comment construire une société où les gens sont dignes où parle de la question d’intégration, de discrimination, tout ça ça répond aussi très bien à ce qu’on voit à la faculté, et finalement cette rencontre avec le milieu associatif va aussi être un levier facilitateur sur les études. Et puis le frottement social de la fac fait aussi que je vais prendre mon adhésion à l’UNEF, UNEF id à l’époque ; et puis un apprentissage sur le mouvement de jeunesse pour avoir participé à quelques mouvements, réforme de l’allocation pour les étudiants, en plus nous à Bordeaux on s’oppose de façon minoritaire à l’UNEF id qui ne voulait pas partir en mouvement social donc on apprend les enjeux majoritaires et minoritaires, et malgré la décision majoritaire de l’uni id, au niveau central national, on décide quand même de lancer un mouvement social. Donc apprentissage à la castagne politique, comment on fait les AG, etc., et j’ai jamais été autant en forme pour allée à la fac pour aller tracter à 8heures du matin plutôt que d’aller en amphi de 400 ou 500 ou je ne sais pas combien pour écouter des cours théoriques même si c’est assez complémentaire. Donc à la fois un engagement au bd des potes qui est encouragé par des potes mais pas de rien, eux aussi de l’UNEF, donc baignage dans un milieu politique ; alors après y’a des faits marquants, pourquoi on reste et pourquoi on continue dans ce mouvement là ; je crois que dans l’expérience militante il y a des faits marquants dont on se souvient et je crois pendant très longtemps. Parce que moi au départ les questions d’anti racisme c’était un peu loin de moi et puis j’ai eu une expérience, 94, je me souviens avoir participé aux états généraux des quartiers qu’organisaient les maisons des potes qui venaient d’être créées en 91 à l’issue du mouvement SOS racisme, on part à Paris, je pars avec les cadres du mouvement des potes ici, et puis je me souviens de cette grande salle avec toute cette jeunesse, black blanc beur, on regarde un film en commun de Malik Chibat ( ?) en 94 et ça c’est des moments fédérateurs où on va au-delà des causes personnelles où on peut être touché directement, et avoir envie de militer, il y a une sorte de fraternité, de point commun qui fait qu’on se transcende de sa position individuelle pour s’inscrire dans une logique plus collective et que oui effectivement on est tous concernés par ces questions d’égalité etc. un autre événement, 98, le 5ème congrès de SOS racisme, organisé à Rennes et là je me souviens, les jeunes, entre guillemets, la 2ème génération du mouvement des potes à Bordeaux, on part de façon indépendante, sans les grands, sans le président des potes, etc. on part au congrès de Rennes et c’est là où la nouvelle génération on intègre à l’issue de ce congrès le conseil national de SOS racisme, et on a pour mission de remonter, de relancer SOS racisme en Gironde, on a en 98 un fait marqueur, la France vient de gagner la coupe du monde, tout le monde parle de Zidane, la France métissée a défilé dans les rues sans haine sans racisme dans beaucoup d’allégresse et de joie, et là SOS racisme lance la campagne les discriminations tuent les talents, en dénonçant ce qui se passe dans la société les discriminations viennent fragmenter la cohésion sociale qui pourtant peut faire preuve de fraternité. Donc pour conclure il y a un choc un séisme dans vie militante, c’est 2002, l’arrivée de Le Pen au 2ème tour. On était inscrit, les cadres du mouvement des potes, dans la gauche socialiste avec certains au parti socialiste, dans un mouvement minoritaire qu’on appelait la gauche socialiste. En 2002, je me souviens, c’est ma génération qui dit, allez maintenant on y va, on entre au parti socialiste, parce qu’on peut pas laisser les choses, on peut pas laisser la situation telle qu’elle.

CS : Moi l’histoire elle va remonter un petit peu avant, on peut parler de ma grand-mère, de la naissance de mon père, c’est 1914 et la mort de son mari tué par les allemands en 14. Ma grand-mère vit à la campagne, je pense qu’il y a quelque chose qui est porté par la ruralité aussi dans mon parcours, et donc ma grand-mère élève seule son fils, lequel part à la guerre à la guerre suivante en Suisse, est prisonnier en Autriche et revient à la fin de la guerre avec une autrichienne donc ma mère. Alors l’accueil est très très froid pour le moins à la campagne ma mère c’était la boche, ça l’a été longtemps, ça l’est plus mais bon tout juste, et ça a tiraillé l’éducation de ma mère pour moi, on fait pas de vague, on essaie de s’intégrer, on ne se manifeste pas. et puis quand même un père qui travaillait aux Ponts et Chaussées, qui était syndicaliste, donc tiraillée un petit peu entre les 2. Donc moi j’apprends l’allemand quand je suis petite parce que ma mère ne parlait pas le français, et puis peu à peu et bien on ne parle plus du tout allemand à la maison et voilà mais ça m’est resté. Et puis, toujours dans cette histoire de ruralité, moi j’ai fait des études courtes, enfin courtes mais qui semblaient longues par rapport à d’autres à la campagne, donc je vais jusqu’au lycée, je prends des cours de secrétariat et puis la question c’était de travailler le plus vite possible. Ce que je fais, et à ce moment on arrive dans les années 68 à peu près. Alors moi je ne vois rien de ce qui se passe. L’idée c’était plus l’histoire d’insertion sociale, plutôt de profiter un petit peu des loisirs … Donc 68 ça avait passé complétement à coté, le MLF j’ai connu ça bien après. Alors, j’ai bénéficié bien-sûr de ces acquis, les droits des femmes, lutte pour la contraception, le droit à l’IVG, mais c’était sans se poser de questions, ils étaient là, bon j’ai appris ensuite qu’il fallait les défendre. Et puis, je dirai qu’ensuite, le déclic, bon j’ai eu trois enfants, le déclic ça a été mon divorce en fait. Séparation après une dizaine d’années de vie de couple. Et là de réaliser ce que j’avais fait, tout en ne le regrettant pas mais bon quand même, en essayant de faire passer un autre discours à mes filles, c’est-à-dire que j’avais, pour des raisons diverses et variées, j’étais partie d’un travail, je gagnais autant que mon mari quand on s’est connu, ensuite j’ai pris un mi temps, puis 10 ans après séparation et voilà je gagnais 10 fois moins que lui avec mon mi temps. Lui avait eu son parcours aussi lié à son statut d’homme marié parce que peut-être que ça comptait un peu moins mais ça comptait quand même. Il était plus stable, une valeur sûre et puis moi j’avais pris un mi temps en changeant de travail à une époque où on ne trouvait pour du mieux quand on changeait et bien là, 10 fois moins, donc, la rage quand même, la rage, et l’idée qu’il fallait faire quelque chose et faire vite. Là donc pas forcément les bons choix au niveau professionnel. J’ai tenté un petit peu des concours … Et puis dans le même tps je me souviens d’avoir fait une demande de logement à la mairie et là on me demande l’autorisation de mon mari. Lui on ne lui avait pas demandé et là je me suis dit il y a vraiment quelque chose, ce n’est pas normal ; et donc la conscience féministe qui s’éveille. Et dans le même temps la rencontre avec le planning familial dont j’avais entendu parler mais sans plus. toute cette histoire se passe en Touraine, j’habite à Tours, une jeune amie m’en parle, et là j’ai cherché parce que j’avais un peu de temps, je travaillais toujours à mi temps, et donc j’ai poussé la porte du planning familial à Tours il y avait une équipe un peu résistante de la 1ère heure. Alors on n’était plus du tout dans les grands combats, une équipe qui était là dans l’accueil du public, qui n’allait pas au devant, pas encore. On m’a bien accueillie, on m’a ouvert gd les portes. On m’a très vite envoyée au niveau national à la confédération où j’ai découvert ce qui se passait dans un niveau autre que le département. Et ça a été pour moi l’entrée dans le militantisme avec quelque chose qui a duré en tant que militante au mouvement français pour le planning familial à Tours, on a remonté l’association départementale, avec l’arrivée du problème du sida et des actions qui se mettaient en place et qui allaient permettre de salarier et de professionnaliser. Alors moi qui était avec un mi temps, j’étais libraire à l’époque, j’avais du temps ça m’intéressait d’apprendre et d’avoir un revenu complémentaire. Donc là je me suis formée, j’ai passé à 48 ans le DAEU, là il y avait quelque chose qui commençait à s’éveiller. C’était aussi pour moi qui avait des ados à l’époque la possibilité de verbaliser, de transmettre quelque chose.

BA : ce que je voudrais vous dire d’abord c’est qu’il n’y a pas de connaissance sans mémoire, et à partir du moment où on fait appel à sa mémoire, il n’y a pas de mémoire sans qu’on puisse activer les émotions qui sont liées à cette mémoire. Donc, je vous fais juste un petit rappel ; nous avons les afférences ici qui vont être ce que l’on voit, ce que l’on lit, les connaissances, ça rentre à cet étage supérieur, et à cet étage, les connaissances bio génétiques aujourd’hui ns permettent de dire, il y a une triangulation entre 3 secteurs : le secteur des émotions, le cortex-la volonté-les sentiments-la représentation de ce que l’on vit-et la planification de nos comportements ; et enfin, le 3ème qui est le récepteur, ça va se traduire par des comportements, adaptés, motivés, en actions donc en engagements. Alors, on n’a pas beaucoup parlé des émotions. Mais, si on veut parler de notre histoire en excluant cette partie, on va raconter, que ce qui nous reste dans la tête sans qu’on sache très bien pourquoi. Donc, on descend là au niveau du corps, puisque quand on est petit on vit avec notre corps avant de pouvoir penser, de parler, et. Et là on a le neuro végétatif à partir des émotions, on a la musculature qui nous permet d’agir, et puis le sexuel, il ne faut pas l’oublier, parce que dans les motivations que ns pouvons avoir il peut y avoir pas mal de sexuel, il n’y a pas que la pilule. Et d’autre part, tout ceci dans une représentation que ns ns formons au niveau du cortex qui est l’image du corps sur lequel va s’appuie notre identité. Si je vous raconte tout ça c’est parce que dans ma vie moi, je pars du corps de parents profs de gym, éducation sportive, pratique du sport et de l’athlétisme et du rugby, donc, individuel et collectif et connaissance de soi même. Deuxièmement, à partir de cette pratique là, on va tomber dans le secteur des émotions, c’est à dire qu’à l’age de 16 ans, on va me faire jouer dans l’équipe 1ère, parce que les copains de l’équipe 1ère sont partis en Algérie. Et là, ça va déclencher un truc, qui est parfaitement émotif. C’est une injustice. Et à partir de là, l’injustice va toujours fonctionner avec une émotion et qui va motiver l’émotion là, d’une part des représentations, sur l’idée que je vais me faire des injustices, et deuxièmement sur l’action, et qui va se traduire en engagement. Donc, ce que je voulais faire comprendre, c’est que on ne peut pas faire ce travail de mémorisation sans cette dimension de l’émotion, de l’émotif qui va donner le sens finalement à l’action que nous avons. Alors, ceci étant dit, 2ème composante à mon époque, c’est celle du caractère de l’éducation que nous avions, qui est une éducation extrêmement aujourd’hui on dirait autoritaire et donc je dirais que la fuite dans les représentations, l’intellectuel, la sublimation a fait que le sexuel a pris des allures romantiques et en tant que spectateur pouvoir aller au théâtre à l’époque et s’identifier à un mec comme Gérard Philippe, pour un adolescent à l’époque c’était le super pied. Et donc, il y a le romantisme et ce romantisme là qui est quelque chose à la fois de sublimer mais qui va donner une coloration à l’engagement que je vais avoir après soit au niveau de l’UNEF soit au niveau politique.

JFG : pour ce qui me concerne, je vais dire des choses que je n’ai jamais dites en public. Bien sûr il y a un ouvrage qui s’appelle « Au cœur des luttes des années 60, les étudiants du PSU une utopie porteuse d’avenir ? », que j’ai codirigé, dans lequel j’ai écrit pas mal d’articles, avec beaucoup d’éléments que je vais vous dire maintenant qui y sont inclus, mais aussi d’autres qui ne font pas partie de cet ouvrage.

J’ai essayé de comprendre quel était l’élément déclencheur (on a parlé de déclic), quel événement, qu’est-ce qui fut « opérateur d’engagement » comme l’écrit Claude Giraud, quel contexte, quelle situation dirait Sartre, a favorisé un tel engagement. Pour ce qui me concerne, je dirais que c’est la guerre d’Indochine autour des années 1952-53 : j’ai 11-12 ans. Mes parents sont abonnés à Paris Match, hebdomadaire rempli de photos de la guerre d’Indochine : on y voit en permanence des morts, des blessés, Dien Bien Phu et sa cuvette, les noms des collines de l’armée française qui sont tous des noms féminins, Gabrielle, Isabelle, Béatrice, Huguette, Claudine etc., comme si les prénoms féminins allaient adoucir les effets de la guerre à ce moment-là. Je suis en 5ème au lycée Montesquieu et tout cela déclenche en moi de fortes émotions, c’est le 1er élément. Ces émotions entreront plus tard en correspondance avec ce que j’ai appris par la suite, mais la notion de guerre coloniale ne signifiait pas grand-chose à mes yeux à l’époque : par contre j’étais en dissonance cognitive avec le comportement de mes parents, catholiques, et qui soutenaient l’État et l’armée française dans ces tueries. Et là, je ne comprends plus ce que peut être un idéal de fraternité, tel que l’Évangile peut le porter, au regard du comportement idéologique et politique de mes parents sur cette guerre d’Indochine. Donc, la validité de leur credo s’effondre et cela devient un contre modèle et non pas un modèle auquel je peux m’affilier. Ceci se complique du fait que, pour des raisons de tradition familiale, mes parents me mettent au collège de Bétharram : je rentre en 4ème, j’ai 12 ans, et je vais y rester jusqu’en 58. C’est un choc terrible. C’est un choc dû à l’éloignement familial, à la rupture avec mes amis bordelais, mais aussi à la frustration sexuelle de l’adolescent que je suis. Je venais de sortir juste de mes petits soldats, et là je passais avec la guerre d’Indochine dans une dimension nouvelle.

À Bétharram, j’ai trois oncles prêtres, mon frère est à Bétharram, mon père est passé à Bétharram : je vois la violence réelle, physique (vis-à vis de certains gamins pensionnaires), mais aussi symbolique, très forte, et la censure de l’intelligence : un exemple, j’ai eu plus tard Madame Bovary au programme de ma classe de première. On m’offre l’ouvrage de Flaubert, mais on me le saisit à mon arrivée après la Noël 1957 : censuré. Je n’avais pas le droit de lire un ouvrage considéré comme pornographique, je suppose, bien qu’inscrit au programme.

Quant au contexte, je découvre que toutes les autorités du collège défendent l’Algérie française. Il y a un collège équivalent à Sidi Bel Abbès, où un de mes oncles est supérieur, et accessoirement aumônier de la légion étrangère. Je ne vous dis pas les conflits à table en été lorsque l’on se retrouve les uns et les autres, mais je suis tout seul à me battre bec et ongle contre la bonne conscience coloniale. Ma sensibilité d’adolescent en construction et en recherche fait que bien évidemment cette tradition familiale explose. Je me fais virer de Bétharram volontairement en mai 1958, un mois avant le baccalauréat. Le baccalauréat était en juin. Je suis dans un malaise terrible (je serai d’ailleurs collé au baccalauréat) et le soir de la sortie des épreuves, je suis à Pau : il y a une manifestation le 17 juin 58 contre l’arrivée de de Gaulle au pouvoir, dans les rues à 18 h. Je rentre dans le cortège, et c’est ma première mobilisation, après les émotions décrites plus haut et un début de conscientisation. Pour certains, en 1963, ce sera la première surprise partie, pour moi c’est ma première manifestation. Il y avait eu une manifestation parisienne un mois avant.

Je peux vous dire aussi que cette idéologie colonialiste, réactionnaire, voire fascisante était très présente dans le collège. Des fanfares de régiments parachutistes de Pau ou de Tarbes venaient nous jouer de la musique militaire le dimanche dans la cour de récréation. Nous avions aussi des conférences : je me souviens de celle du colonel Château-Jobert qui fut parachuté à Port Saïd avec ses commandos lors de la guerre contre l’Égypte lorque Nasser se prononça pour la nationalisation du Canal de Suez. L’Angleterre, la France et Israël envahirent l’Egypte. Il est donc venu nous « vendre sa salade ». Il y eut aussi une conférence sur le marxisme : je ne vous dis pas l’inanité de ce genre de bla-bla !

Bref, pour moi, « du passé faisons » table rase devint une nécessité totale. C’est-à-dire que je dois déconstruire et reconstruire mon moi : mon « je » est un autre, pour paraphraser Rimbaud. Donc, il faut une prise de conscience pour être soi dans le monde. Après, bien sûr, il y a les rencontres, il y a les amis : j’apprends qu’un parti positionné radicalement contre la guerre d’Algérie est en train de se créer en 1959, suite à une scission dans la SFIO. Ce parti s’appelle le Parti socialiste autonome : j’y adhère et je participe à mes premiers débats, à mes premiers échanges, à mes premiers congrès.

D’un stade émotionnel je passe à celui du mouvement politique dans une sorte rationalisation : il est vrai qu’il ne faut pas oublier qu’émotion vient de « moveo » en latin, qui donnera aussi mouvement, motivation, motif, mobile, motion (les motions dans les instances politiques). Il existe dans ce champ sémantique beaucoup d’éléments qui peuvent être dans un ensemble mis en écho, en interaction.

L’adhésion, c’est aussi le temps de l’organisation et de retour à Bordeaux au lycée Michel de Montaigne, repéré par des militants communistes et par des militants catholiques, je suis élu en 1961 au bureau de L’AGEB. Au sein du PSU ce sont les débats sur la guerre d’Algérie, les désaccords sur cette question avec le parti communiste, les questions de l’insoumission, du soutien au Manifeste des 121, de l’aide au FLN avec Jeune résistance, les réseaux Janson, les porteurs de valise, tels qu’on les évoquait à l’époque. Tout ça me travaille, comme me travaille le PSU dans son ensemble. Et à la différence de l’UEC où les membres de cette Union ne sont pas forcément membres du PCF, les étudiants du PSU sont membres du parti, ils ont leurs sections étudiantes et ils votent comme n’importe quel membre dans le cadre de leur section étudiante. Ils ont une certaine autonomie de fonctionnement par rapport au reste du parti. Je participe au front uni anti-fasciste (FUA), dont Robert Escarpit (fondateur plus tard de l’IUT B) est un des animateurs, avec le professeur Salomon : parce qu’ils sont menacés par l’OAS, on fait des gardes de protection la nuit : garde de l’AG de Bordeaux, de l’appartement d’Escarpit, de celui de Salomon (une bombe explosera, mais ce jour-là ce sont les profs qui le gardaient !).

Je me mets à lire avec frénésie : je dévore Trotski, Lénine, Marx, mais aussi les surréalistes. Mon copain de philo est au PSU : c’est Jean-Louis Péninou ( que je retrouverai plus tard à la Sorbonne à Paris –à l’UEC- et qui fut journaliste à Libération, aux Cahiers de Mai), puis en propédeutique, c’est Jacques Abeille (le futur surréaliste bordelais bien connu). Je me plonge dans Rimbaud, Lautréamont, Breton, Michaux, Aragon, Éluard, René Char, Benjamin Peret (avec son engagement au POUM dans les brigades internationales) : bref, c’est tout un romantisme ancré dans la réalité, avec des philosophes accompagnateurs (Nietzsche, Sartre).

Il y eut aussi deux enseignants importants pour moi, rencontrés à Montaigne : le professeur Lagabrielle, décédé maintenant qui me fait découvrir les philosophes. Très proche d’Alain par la pensée, il me fait découvrir Platon et tellement d’autres dans un processus de dévoilement qui n’en finira jamais. Je me souviens que le premier jour de cours il nous demande de faire une dissertation sur « la paresse ». Ce truc qui me tombe dessus, c’est ça la philosophie ? Travailler sur la notion de paresse ? Je trouve cette ouverture extraordinaire. Et puis un autre professeur, d’histoire et géographie qui s’appelle Carmona (et qui est au PSU) (le père de l’universitaire, Michel) qui m’ancre dans les réalités socio-politiques.

Je me mets enfin à écrire des textes, des motions, des articles, des documents, des poèmes, un journal intime. L’écriture me passionne, comme mon engagement permanent qui va suivre au Bureau de l’UNEF à Paris, puis comme secrétaire national des étudiants du PSU pendant quasi deux ans : j’ai alors 25 ans.

JC G : la parole est de nouveau à Hélène pour la réponse à la deuxième question : « une expérience juvénile de l’engagement qui s’est prolongé à l’âge adulte ? ».
HB : donc en fait moi je vous le disais, c’est plutôt rentrer dans le militantisme via le travail, donc la rencontre avec le bd des Potes, qui a été une opportunité pour moi. Mais encore une fois il n’y a pas de hasard. Si je suis arrivée là quelque part c’est aussi dû à un cheminement personnel ; donc cette rencontre avec les Potes ça a fait écho avec mon histoire personnelle, le bd lutte contre le racisme que mon gd-père avait connu, on a des questions qui touchent à l’immigration, la question des quartiers, j’ai passé mon adolescence dans un quartier dit sensible, donc j’étais aussi sensible à cette question là et au regard que portait la société sur ce genre de quartiers. Donc autant de thématiques que l’association abordait qui vraiment faisait écho ; d’autant plus maintenant, comme la question du droit de vote des étrangers, mon gd-père qui lui n’avait pas le dt de vote s’investissait énormément dans la vie démocratique française. Donc, voilà il n’y a pas de hasard. Moi la particularité effectivement, mais je ne suis pas la seule à cette table, c’est que j’ai du associer militantisme et profession salariée, c’est à dire que je suis salariée militante. Et que effectivement ce n’est pas trjs évident, ça demande engagement, disponibilité, il ne faut rien lâcher, il faut être là quoi. Il faut être présent. C’est de l’investissement personnel. Mais en même temps c’est quelque chose de très très enrichissant et je m’y retrouve complètement. Et c’est vrai que ça peut poser question. En tout cas au quotidien ça se travaille ; salarié, militant. Voilà. Par ailleurs je me suis aussi engagée, peut-être de manière associative à SOS racisme, mais on est sur les mêmes combats. Pour moi c’est une rencontre c’est une façon d’aller jusqu’au bout. D’aller à fond. Après ma génération, malheureusement la question du racisme, et des discriminations elle est encore d’actualité. Mais j’aurais pu m’engager sur d’autres combats comme celui du l’emploi, du logement, des combats qui sont plus liés à notre génération. En même tps ce que j’ai retrouvé dans la lutte contre les discrimination c’est la question de l’égalité, qui est transversale à toutes les luttes, ou quasi toutes. A travers ça on se mobilise pour l’égalité, la dignité des personnes, et du coup ça peut rattacher à plein d’autres domaines. Donc c’est ça qui est intéressant. Et que si on arrive à porter ce combat, là, on peut aussi porter les autres. Alors, qu’est ce que je peux dire de plus ? alors, aujourd’hui je m’occupe, je travaille avec des jeunes. Donc là bon, effectivement, si je m’y retrouve aussi dans ce que je fais aujourd’hui c’est parce que j’y trouve une place et qu’il y a une reconnaissance. Une reconnaissance de l’individu à travers un collectif c’est un lieu d’échanges où on est accepté comme on est. Où on nous prend avec ce qu’on arrive (ce avec quoi on arrive). Et ça ça me parait essentiel. Et aujourd’hui les gens avec lesquels on travaille c’est le même processus.

On leur fait confiance, on leur donne la parole, on écoute leur parole, et ça c’est un point de départ ; alors déjà, dans la prise de conscience, prise de conscience du collectif, prise de conscience sociale. Ça c’est déjà une 1ère étape. Quand on discute avec les jeunes de ces questions, même plus largement des questions de citoyenneté de vivre ensemble, effectivement on est déjà, enfin pour moi, et au sens du Bd, dans l’engagement. Ça fleurit, ça commence comme ça. Juste pour vous donner un exemple pour illustrer mon propos. On a monté un collectif avec des jeunes, qui a élaboré de A à Z un guide de lutte contre les discriminations, pour des jeunes ; et donc ces jeunes ils se sont engagés du début jusqu’à la fin ; ils ont commencé en 5ème, aujourd’hui ils sont en 3ème, et ils continuent à s’investir sur ce projet. et là d’une part c’est une prise de conscience, il faut dire qu’ils étaient volontaires, la majorité, parce qu’il y en a qui ont été amené par leurs professeurs qui se sont dits ça peut pas leur faire de mal, voilà. Donc et ensuite ils sont allés présenter le guide devant d’autres collégiens. D’autres mêmes acteurs professionnels. Et ils ont parlé de principes de discrimination. Une fois on est allé à Libourne et ils ont présenté ce guide au capitaine de gendarmerie, au procureur, etc. et du coup c’est ces jeunes là qui ont parlé aux professionnels, et on les sent très investis, très engagés, très impliqués sur ces questions là. Aujourd’hui on continue à travailler ensemble, ils sont toujours là. On l’a fait avec d’autres jeunes il y a quelques années, on en a retrouvé certains, ils sont très impliqués dans des mouvements associatifs et même politiques parce qu’ils sont gds maintenant. Et je crois que ça a participé à leur construction.

JC G passe la parole à SM.

SM : alors, l’idée c’est de continuer sur l’engagement à l’âge adulte ? alors, j’avais arrêté mon propos toute à l’heure à 2002. Comment à ce moment je décide à ce moment là je décide de prendre ma carte au parti socialiste, parce que effectivement il y a un moment donné une continuité quand on est dans le contre pouvoir, qu’il soit syndicaliste ou associatif. Moi jusqu’à présent j’avais quand même pas côtoyé de gens encartés au parti socialiste, sans avoir fait le pas d’y être. Il n’empêche que je n’ai pas du tout le sentiment que l’on m’a poussée à ça, au contraire. Les copains avec qui j’avais appris à militer dans le mouvement BD des Potes, avaient quand même pris une claque à la fin des années 80. Pas forcément tous, puisque certains comme Julien Dray font le choix de rentrer à l’intérieur du parti pour de l’intérieur essayer de changer les choses. En 2002, je considère qu’il est tps à mon tour d’essayer dans une sphère plus politique d’essayer de changer la société, d’avancer un certain nombre d’idées. La désillusion, elle va être très sévère, très sévère je vous le dis. Et aujourd’hui vis-à-vis de l’engagement politique à proprement parler, j’y suis toujours, mais avec des interruptions, c’est un jeu de va et vient en quelque sorte. J’ai l’impression d’être plus efficace dans le mouvement social, à travers le syndicalisme, l’anti racisme, par exemple, parce que l’appareil politique, le parti politique, est quand même très verrouillé dans son fonctionnement, et je trouve que c’est très difficile de faire sauter les verrous à l’intérieur pour vraiment faire avancer la démocratie, les questions d’égalité, etc. mais il n’empêche que du coup il y a quand même une école de pensée politique à travers la gauche à laquelle je participe en étant encartée et sans l’être, ou plutôt dans l’autre sens d’ailleurs, sans avoir été encartée, parce que quand on est dans un mouvement associatif et bien forcément on est invité à des conférences, à des débats, on se nourrit on se forme, on est curieux, j’ai lu le Manifeste du parti communiste, bon, on s’intéresse. Petit à petit se pose aussi la question, que faire après les études, et moi pour financer mes études, j’étais permanente au Bd des Potes, salariée, ça me permettait à la fois de financer mes études, de vivre, militer, c’était une situation idéale, je le vivais bien, bon, à part qu’à un moment donné, une fois que les études sont terminées, il faut aussi un débouché professionnel à tout ça, et c’est en ça que je me suis dit, quelle est l’institution, comment en tant que professionnelle je vais peser dans la société, essayer de faire bouger les choses. Et mon parcours d’études en sociologie … je me suis dit que l’éducation pouvait être un bon levier, l’institution jouant un rôle central dans la société et donc du coup je me suis engagée dans l’Education nationale, j’ai passé le concours, bref. Bon là aussi, l’institution est aussi très lourde, très rigide, très difficile à bouger de l’intérieur, bon bien sûr il y allait avec des stratégies collectives parce qu’individuellement c’est impossible, à part, acteur au quotidien avec les élèves et quelques profs, du bidouillage. Mais si on veut vraiment changer l’école à un moment donné il faut aussi s’engager, et puis, donc j’ai décidé de m’encarter dans un syndicat, et le syndicalisme de toute façon, alors pour conclure, il m’a fallu un certain temps pour adhérer à un syndicat, car je ne voulais pas adhérer, sur ce qu’on me donnait à voir, les mutations, tout ça. Non, pour moi le syndicalisme c’était un projet de société, j’ai fini par adhérer ; dans lequel je me retrouve plus ou moins, l’UNSA. L’Education nationale comme engagement militant il faut vraiment avoir beaucoup de force pour croire que dans l’action professionnelle on peut faire bouger les choses. L’intérêt c’est d’agir au quotidien, avec les jeunes, pour les jeunes, essayer de les amener à s’émanciper de là où ils viennent. Et en ça moi, j’ai envie de dire, merci, à l’école républicaine parce que je crois que dans les parcours qu’on a entendus, l’école républicaine est aussi le moment où il va y avoir un brassage, une rencontre, et un cadre, laïc, etc., qui permet à toute une génération finalement de s’émanciper de son origine de départ, et puis de pouvoir passer le relais aux générations montantes. Ce qui me permettra de faire le lien …

JC G : je passe le relais à Christiane.

CS : oui alors, retour au planning familial à l’association départementale 37 donc, à Tours, avec une collègue arrivée 20 ans avant moi, on a redynamisé et avons fait connaitre l’association, qui à l’époque avait 25 adhérents, et après une histoire un peu compliquée, bon actuellement ils sont 355 adhérents. Moi j’ai eu des responsabilités au niveau national, j’ai découvert l’histoire du planning, alors du planning, du mouvement français pour le planning familial, parce que dans le langage courant c’est devenu un nom générique dans lequel on englobe le mouvement militant et les centres d’éducation et de planification familiale. Alors là déjà quand je me suis rendue compte de ça et c’est quelque chose que je rencontre encore souvent, c’est quelque chose que je trouve à peine honnête de ne pas rectifier quelque fois parce que le planning familial était en danger et donc là dedans on inclue les centres de planification qui eux ne sont pas forcément en danger. Parce que dans ces mouvements de lutte pour le droit des femmes, de lutte pour la contraception, dans les années 70 on va dire, il a été fait obligation aux départements d’ouvrir des centres de planification pour ouvrir aux jeunes, aux femmes sans ressource, l’accès à la contraception. Ça se sont des obligations faites aux conseils généraux, y’en a partout. Ils se trouvent dans certains départements les conseils généraux ont confié ça au mouvement français pour le planning familial. Pas partout mais dans notre région Centre, c’est le cas. Alors qu’il y a des associations, non on ne parle pas de ça. Donc les centres de planification peuvent être en lien avec le mouvement français pour le planning familial. Si je connaissais à peine le planning familial, je ne connaissais pas du tout la fonction de conseillère conjugale et familiale donc, qui est issu aussi de ces temps forts du militantisme, qu’au planning on appelait les hôtesses, puis les dames du planning, et il se trouve qu’à Blois le CG a confié ça à une équipe de médecins militants à l’hôpital. Et on m’a proposé un poste de conseillère conjugale et familiale à l’hôpital. Alors c’était une opportunité pour moi d’être payée pour quelque chose que je faisais jusque là dans du militantisme, et moi je suis arrivée sur cette fonction qui était aussi quelque fois occupée par des personnes issues du milieu médical ou social, des infirmières qui se sont formées à cette certification, car il ne s’agit pas d’un métier, il n’y a pas de diplôme conseillère conjugale et familiale, c’est un petit peu batard. Et, donc, j’y ai fait profession quand même pendant 10 ans avec cette idée complémentaire mais un peu différente de mes collègues qui étaient plus formées aux soins, moi avec mon idée d’influer un peu sur un changement de société, et voilà.

BA : Gillet ns a fait une démonstration extrêmement brillante de ce que certains d’entre nous ont pu vivre à ce moment là. Je voudrais juste dire en plus que si on voulait pour faire une chose qui est extrêmement forte au niveau de l’émotion à tel point qu’on s’en souvient encore aujourd’hui, il faut qu’il y ait la répétition de quelque chose qui évoquerait du moins un trauma. Je veux dire par là, mes parents, 1943, je suis né c’était la guerre ; après tu as très bien cité répétition du trauma, la guerre d’Indochine, après la guerre d’Algérie, répétition du trauma, et alors pour bien vous expliquer un petit peu ce qui s’est passé pour moi, j’étais avec une copine qui habitait Versailles tout adolescent, j’ai fait une petite fugue pour Paris et nous voilà pris dans la manifestation à Charonne ; et alors là la copine a perdu ces godasse. (JCG : 8 morts). Oui mais on l’a pas su à ce moment. Donc, on l’avait pas dit aux parents, c’était l’équivalent d’une fugue. Et le lendemain on apprend qu’il ya eu des morts. Et là c’est un répétition de la même chose, et la représentation qu’on va s’en faire après qui fait que 60 ans après c’est comme si c’était hier et je me rappelle encore le prénom de ma copine à ce moment là. Et la 2ème chose c’est en ce qui l’engagement et le pouvoir. On ne peut pas résumer, pour vous c’est bien les jeunes, en 5-6 ans mais pour nous c’est un peu délicat. Et ce qu’il faut savoir c’est que les responsabilités que j’ai pu avoir tant au niveau politique que syndical font que moi ça m’a jamais trop botté, c’est que j’ai toujours accepté de revenir à la case départ c’est à dire en bas. Ce qui me rend très critique vis-à-vis du professionnalisme des gens qui occupent ces postes, qui sont absolument indéboulonnables, mais c’est vrai que avoir du pouvoir ça donne du plaisir, n’est ce pas. alors je voulais insister là-dessus. Alors, je suis devenu professeur associé à la fac, on peut aussi monter dans ces échelons là. Mais au niveau sportif j’ai joué, en 1ère division. Donc on peut aussi monter par ces échelons là. Le problème c’est de faire le deuil de ces ascensions. Dernière chose, ça concerne si vous voulez, je m’occupe aujourd’hui d’une association de gens qui sont en souffrance psychique et en position d’exclusion. C’est à dire qu’ils sont à la rue, sans toit, sans boulot, qui ont des histoires psychiatriques pas possible, dont personne ne veut et qui sont en situation de merde totale. Bien ; c’est drôle, n’est ce pas, que je sois encore 60 ans après à m’occuper, alors ce ne sont plus des jeunes, c’est vrai, mais de ce style de personnes là ; je veux dire par là que ça n’a pas malgré les vicissitudes de la vie, malgré ces pertes de pouvoir et tout, ça n’a pas atteint ce marquage que j’ai eu au début qui était de lutter contre les injustices et ce que je considère comme des inégalités sociales.

JCG : je vais résumer le chapitre précédent : vers l’accomplissement de soi, élément fondamental que je caractérise comme la métamorphose liée à ce moment-là. Je rappellerais même, pour enjoliver la mutation, la notion de chrysalide, de « chrusos » en grec qui veut dire or, et qui s’applique aussi à l’apparence de certains scarabées. C’est donc précieux.

Le mot affiliation, est aussi à utiliser car le PSU ne serait-il pas une autre famille, choisie celle-là. C’est une question. Il faut dire aussi que ma compagne adhère au PSU (3 ans après moi), et nous arrivons tous les deux en même temps, j’en parlerai toute à l’heure, à la direction politique nationale du PSU : c’est très rare de rencontrer des couples qui dans les organisations ont en même temps des responsabilités. Notre proximité idéologique a renforcé en quelque sorte notre appartenance commune à la famille PSU. Mais en même temps, je n’ai jamais passé mes vacances avec des militants du PSU (deux fois en 20 ans, notamment après la révolution des œillets au Portugal), sauf ceux que je rencontrais sur mon territoire landais et qui étaient de mon « clan » local, certains (rares au PSU), d’autres nombreux plus ou moins proches politiquement parlant. Mes loisirs ont pratiquement toujours été autonomes.

En réalité, j’étais très attaché à protéger une vie privée, individuelle, intime, tout en ayant le sens du collectif. Ce sont des instances qui sont en interaction permanente. Dans les débats du PSU nous étions en permanence dans un jeu entre l’idée d’appartenance à un champ collectif et aussi dans la découverte de soi dans les débats du dissensus, par le jeu des tendances, voire des scissions ou des départs plus ou moins fracassants.

Expression de soi (nous venons de le voir), dépense de soi (dans l’argumentation et le temps consacré à l’action militante), risque de soi concernent les logiques d’accomplissement personnel. Je ne me suis jamais risqué à me présenter à une élection : trop libertaire pour ça. Ni Dieu, ni César, ni tribun, cela reste fondamental à mes yeux et constitue un néon brillant dans mon espace symbolique. Donc voilà, méfiance des élections ; je ne me voyais pas serrer des mains dans des campagnes électorales. Impossible. Incertitude face à la démocratie représentative. Pour le reste, quand on s’engage on risque, on prend position, donc on affiche publiquement une position personnelle. Sur le plan de la vie politique liée à certains contextes flous, je me suis retrouvé dans la clandestinité deux fois dans ma carrière militante : à Paris, en 1968, la direction du parti a demandé à ses cadres de se planquer parce qu’il y avait des mouvements de troupes dans Paris un petit peu anormaux. Il se trouve que c’était des manœuvres qui étaient déjà prévues avant mai 68, mais enfin quand même c’était plutôt inquiétant. Et une 2ème fois en 1974 parce qu’il semblait (info ou intox ?) que les renseignements généraux laissaient entendre qu’il y avait une possibilité que Mitterrand soit élu et donc par conséquence la possibilité d’un coup d’état. À l’époque j’étais à Perpignan secrétaire de la fédération catalane du PSU : je me suis planqué pendant 48 h. Pour rien bien sûr.

S’il me reste une fidélité à l’engagement dans ma jeunesse, c’est celle de la nécessité de la rupture avec le capitalisme : je n’ai pas changé, même si je bouge comme un pigeon voyageur. Paris ne me paraît plus vivable après mai 68 et avec mon épouse nous partons à Perpignan. Je deviens secrétaire de section, puis secrétaire fédéral. Je passe une thèse en littérature à Montpellier, je me retrouve étudiant pendant 5 ans, de 28 ans à 33ans. Avec des grèves qui démarrent. Et avec mon passé syndical UNEF et mon expérience réfléchie, je plane sur un champ de roses, dans les AG d’étudiants et d’enseignants J’ai en face de moi Jean-Pierre Kaminker qui était au parti communiste, le frère Simone Signoret me semble-t-il et les étudiants sont plus proches de moi dans la continuation de la lutte que de l’arrêt de la grève proposée par l’enseignant.

Je quitte Perpignan, je vais à la Rochelle où je deviens rapidement secrétaire de section, puis secrétaire fédéral. Je suis un des leaders opposés à Rocard et à Chapuis et à l’entrée au parti socialiste : ils sont mis en minorité et quittent le PSU. J’entre à la direction politique nationale du PSU, puis au bureau national du PSU, puis secrétaire de la commission des comptes et des conflits du parti. En fin 1979, Huguette Bourchardeau, secrétaire nationale valide l’union de la gauche aux Municipales, mais on sent pointer sa candidature aux présidentielles : je quitte un parti devenu trop paradoxal dont l’opportunisme dépasse peu à peu ce que je suis capable d’accepter. Il reste environ 5000 adhérents. La ligue groupusculaire ne m’intéresse pas. Je pars sans nostalgie. J’ai vécu 20 ans magnifiques, formidables, et j’ai toujours pensé et dit à mes étudiants que la meilleure et la plus étonnante école de formation que j’ai jamais eue, ne se situe pas à l’Alma mater, mais dans la vie politique ou syndicale.

Il est vrai que le PSU fut un parti un peu bizarre (des mendésistes aux maoïstes) : il bougeait beaucoup. On entrait, on sortait. Il était plus démocratique que centraliste, à l’inverse du PC qui était plus centraliste que démocratique. Je n’ai jamais été tenté par le PC (mais j’ai pas le temps de l’expliquer ici) ; par le PS encore moins. Le PS, c’était d’abord la figure de François Mitterrand, la guerre d’Algérie, la francisque, etc.

Que deviens-je par la suite ? En 1983 je rentre à l’IRTS de Talence : la direction de la formation continue cherchait quelqu’un qui présente des garanties politiques, universitaires, de connaissance du milieu associatif, pour une formation DEFA (Jeunesse et sports et affaires sociales) expérimentale, Je deviens en suivant secrétaire de la section syndicale CFDT et en 1986-87 un conflit dur intervient entre la quasi-totalité des formateurs avec le directeur actuel (qui est toujours présent) : le conflit cesse et je quitte l’IRTS avec un certain nombre d’autres collègues. Je crée une association de formation et de recherche et en même temps je fais une nouvelle thèse en sciences de l’éducation que je passe en 1993. Je rentre à l’IUT où je reste pendant 10 ans.

Politiquement, je soutiens la candidature de Juquin aux présidentielles de 1988 (aux côtés des Alternatifs, groupe rassemblant des anciens militants du PSU) : je suis à ses côtés à Bordeaux, lors du meeting qu’il fait au Grand parc. En 1995, je préside le meeting de Voynet à Bordeaux. Mais je ne suis jamais rentré chez les Verts, ni à Europe écologie, ni nulle part. Par contre j’adhère à la fondation d’Espace Marx Aquitaine Bordeaux Gironde : je suis toujours membre de son conseil d’orientation. Pour résumer je dirai que je suis plus marxien que marxiste parce que j’ai teinté, coloré, multicoloré le marxisme de la psychanalyse, de l’histoire, des sciences politiques, de la sociologie, des sciences de l’éducation, et de bien d’autres champs qui m’intéressent. Je commence à écrire des ouvrages sur le PSU pour une transmission distanciée, sans nostalgie.

Je vous propose maintenant une dernière minute conclusive, pour chacun d’entre nous sur « engagement juvénile d’hier, engagement juvénile d’aujourd’hui, engagement juvénile de demain ».

HB : alors évidemment dans toutes les luttes y’a des ainés, y’a un héritage, mais après par exemple si on reprend le combat ancien, on s’adapte aussi à son époque, aux besoins de son époque si on reprend le mouvement de lutte contre le racisme pour illustrer un peu. Donc LDH a été créé sur l’affaire Dreyfus, la question de l’école ouverte à tous la LICRA etc. mais le mouvement dans les années 80 s’est intéressé à la question des immigrés et des enfants d’immigrés, la question de l’égalité pour tous. Juste pour illustrer ce combat anti raciste il a aussi évolué sur les questions de lutte contre les discriminations. Avant les mouvements anciens anti racistes ne parlaient pas de discrimination. Donc effectivement tout découle tout est lié, y’a un héritage mais aussi des époques différentes. Après il ya malheureusement des revendications qui sont encore d’actualité, comme l’anti racisme ou le droit des femmes, ou de nouvelles contestations ou revendications, je pense au mouvement LGPT, mais pas que. Et puis surtout, même plus en terme de mobilisation, le grand truc c’est internet, on peut se monter un collectif, se mobiliser sur un simple appel, sur internet, y’a beaucoup de mouvements qui sont nés comme ça. Je pense à Génération active. Je crois que ce qui a révolutionné vraiment le militantisme aujourd’hui c’est internet.

SM : moi je suis plutôt fière d’appartenir à une organisation comme SOS Racisme. Toute à l’heure je remerciais l’école républicaine, je pense qu’il y a des organisations de jeunesse comme SOS Racisme qui permettent à plein de jeunes pas forcément issus de la bonne classe sociale, qui n’ont pas forcément le bon format pour s’initier à la vie politique et à la question publique, à un moment donné comment une orga, d’envergure nationale, peut engager dans des combats des jeunes qui vont se sentir concernés par une cause et vont rentrer par la petite porte, comprendre les mécanismes de fonctionnement. Conseil national, bureau national, comité, etc. en fait c’est une école politique, on est dans l’éducation populaire, moi aujourd’hui du haut de mes 40 ans je suis une des plus anciennes du bureau national de SOS racisme. Je peux dire que la moyenne d’age est plutôt jeune. Et on va fêter nos 30 ans (d’existence) l’année prochaine. Y’a qd même une transmission de relais qui se fait de génération en génération et c’est ça qui est important aussi parce qu’on est sur des questions de société qui sont qd même très difficiles aujourd’hui. On est dans un contexte politique et social où il y a des vents mauvais. Crise économique. On a vite fait d’attiser la haine les uns sur les autres. Donc c’est important aussi que dans la société l’engagement puisse se transmettre de génération en génération pour que qd même il y ait tjrs des contre pouvoirs. Et même si aujourd’hui dès qu’on parle de SOS racisme dans le gouvernement je pense par exemple à Delphine Bateau ( ?) à la tête du parti, comme Harlem Désir, effectivement il ne faut pas que les copains oublient d’où ils viennent mais c’est aussi une fierté, de voir qu’à travers ces organisations là, des gens qui n’ont pas forcément fait l’ENA puissent arriver à ces postes là. Et n’empêche, ces organisations, nous, les mouvements, soient dans le contre pouvoir. Pour rappeler justement aux copains n’oubliez pas d’où vous venez. Qui c’est qui porte aujourd’hui la campagne sur le droit de vote des étrangers aujourd’hui en France, c’est Sos racisme avec la LDH et le collectif Votre action citoyenne (?). ça je tiens à le dire très clairement. Et c’est aussi comme ça qu’on passe le relais. Alors de la désillusion oui, il y a, en même tps dans une organisation on n’est pas obligé de tout embrasser à partir du moment où les gens personnellement vont aussi s’exposer pour porter des combats dans des systèmes qui sont hyper verrouillés.

CS : pour revenir à pourquoi je me retrouve moins dans le mouvement français pour le planning familial, je pense qu’il se professionnalise de plus en plus. Il est en recherche de subvention, et ça me semble difficile d’être à la fois à la botte des subventionneurs et d’être militant. Et puis, cette ambiguïté qu’il y a eu sur cette fonction de conseillère conjugale et familiale, le planning familial est un petit peu à la naissance de cette fonction, il s’est opposé après à la reconnaissance d’un vrai statut, peut-être qu’il le regrette maintenant mais la situation est bloquée, donc dans les associations du planning familial et bien on n’emploie pas de conseillère conjugale et familiale, on emploie des animateurs et animatrices et qu’on paie pas mal, en fonction des associations et de leurs moyens bien sûr mais en général plutôt mieux que dans les centres de planification où il y en a obligatoirement puisque c’est un poste qui est obligatoire pour l’entretien pré IVG des mineurs. Donc il y avait des positionnements qui me semble un petit peu ambigus. Alors militante au planning familial, non, plus trop, militante féministe, oui, avec tt ce qui a pu se mettre en place autour de 2002, à Tours on a créé des cafés des femmes, qui sont des tps de rencontre de femmes ; alors le terme féministe il faut souvent le réexpliquer le dépoussiérer parce qu’il a pris un petit coup de poussière. On se réunit comme ça ; il y a de nouveaux mouvements qui se mettent en place, je pense à Osons le féminisme qui arrive … ya des choses peut être à voir, sans aller je parle pour ma génération jusqu’à ce qui se passe sur internet, même si je pense qu’Osons le féminisme je crois s’est mis en place comme ça. Voilà la transmission de l’histoire des femmes ça a été la lorgnette par laquelle j’ai appréhendé le politique je crois.

BA : peut-être un avis plutôt je dirai assez décevant sur le constat que l’on peut faire aujourd’hui puisque l’on parle de l’engagement des jeunes par rapport à la situation des jeunes. Je pense que notre société agit d’une façon complètement irresponsable, c’est catastrophique à mon avis. Et je ne sais pas comment dire comment j’ai pu vivre militer avec d’autres pour qu’on en arrive à cette situation là. C’est un constat extrêmement négatif. De l’autre coté, ça, ça concerne moi. Donc dans u héritage qu’est ce que je vais transmettre ? est ce que c’est ce constat là de nous être completement plantés ? non je ne crois pas. Il y a un autre aspect des choses, c’est que dans le fond on a été jeune, nous avons pris nos responsabilités à certains moments, y’a des jeunes ils ont qu’à prendre leurs responsabilités aujourd’hui et un point c’est marre. Donc, la chose qui reste à faire c’est de qd même éliminer une espèce de gérontocratie toute puissante, qui met une chape de plomb par le biais des organisations, et en particulier au sein même des partis politiques n’est ce pas, qui vérole complétement la vie démocratique à mon sens.

JCG : ma marmite est plutôt proche de celle de Ravachol (un Ravachol qui refuse la violence terroriste individuelle) que de celle d’Astérix : je suis resté dans une réelle fidélité à l’égard de mon passé. Je peux avouer ici que j’ai eu parfois de la condescendance vis-à-vis de militants plus anciens. Je me rappelle par exemple des discussions, encore jeune militant, avec des militants ayant vécu le Front populaire en Espagne. Depuis j’ai beaucoup travaillé la guerre civile dans ce pays, plus exactement la guerre fasciste contre la république en Espagne : j’ai lu énormément d’ouvrages en espagnol sur la guerre civile. J’ai été sur des lieux des combats, j’ai observé des cimetières, lieux de massacres collectifs, j’ai été voir des tranchées, dont celle d’Orwell en Aragon. J’ai été visité des casemates. Bref je me suis immergé dans cette période. Une question me taraude : c’est celle du rôle de la violence dans l’histoire et la question de sa légitimité. Je crois que quand on est révolutionnaire, on ne peut pas ne pas se poser cette question-là. Peut-être avais-je une façon plus radicale de répondre hier à cette question : aujourd’hui, je pense que cette question est fondamentale. Imaginons que l’extrême droite arrive au pouvoir, en Europe : la question de la violence va se poser à nous d’une façon ou d’une autre.

Quant aux engagements des jeunes d’aujourd’hui, ils ne sont ni pires ni meilleurs qu’hier. Ils sont simplement réalisés dans des formes différentes. Et si on mesure leur engagement à l’aune du pied à coulisse que nous avions dans les années 60-70, on a tout faux. C’est en particulier le cas de Geneviève Poujol très critique sur l’éducation populaire d’aujourd’hui par exemple. Je crois que Jacques Ion a raison dans la façon dont il tire des conclusions à ce propos, et je vous renvoie à ces ouvrages. Les jeunes d’aujourd’hui ont certainement tiré les leçons de toutes les « conneries » que nous avons faites dans les années 70. Je sais que nous passions plus de temps au sein du PSU et à l’extérieur de celui-ci à nous combattre les uns et les autres qu’à combattre l’ennemi extérieur qui était l’État défenseur du système capitaliste. Pour moi il existe une certaine forme de santé dans le refus actuel de l’emprise de l’organisation et de ce modèle du sacrifice qui a été celui du militant des années 60-70.

Je relève enfin que la question du rapport à l’autorité me paraît une question fondamentale. Et qui est dite structurante. Dans la guerre d’Algérie nous refusions que nos corps soient mis en jeu par l’État et servent à la répression colonialiste. Ce refus de l’autorité illégitime se renouvela en 1968, contre les différentes figures du pater ou du commandeur, De Gaulle notamment. La réaction étudiante à la mort contre Malik Oussekine en 1986, est une réaction contre l’État, incarné par Pasqua. On rejoint ici la question difficile de la démocratie au sens où Castoriadis la pose, ainsi que Jacques Rancière : comment la maintenir, comment l’élargir, comment l’approfondir ? La reconnaissance de la légitimité de la seule démocratie représentative qui est la nôtre aujourd’hui ne suffit plus pour nos espérances que l’on soit plus ancien ou plus jeune. Il y a d’autres modèles à imaginer à partir d’une écoute réelle de la société. Ceci me paraît essentiel et je suis persuadé qu’on ne videra pas la mer capitaliste avec la petite cuillère de la seule expérimentation sociale. La question du pouvoir reste posée. Du pouvoir, des pouvoirs et pas seulement du contre pouvoir.

Voilà j’ai terminé. Je voudrais vous donner pour la route quatre petits extraits de citations qui peuvent être une conclusion collective. Trois sont tirées d’Yvon Bourdet qui fut un sociologue qui a écrit un ouvrage qui s’appelle Qu’est-ce qui fait courir les militants ? . Qu’est ce qu’il dit ? Ceci : « Le militant est un pessimiste du présent et un optimiste de l’avenir ». Puis « pour le militant politique, sort individuel et sort collectif ne se séparent pas, car le malheur des uns fait le malheur des autres ». Dernière phrase d’Yvon Bourdet, proche du principe d’espérance d’Ernst Bloch ou de Paulo Freire : « Pour le militant, l’horizon n’est pas une limite ». Et, cerise sur le gâteau, une phrase d’Oscar Wilde : « Aucune carte du monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas ».

Je vous remercie.